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[–] [email protected] 8 points 1 year ago

Dans le livre, le sénateur s’exprime également sur son lien d’« amitié » avec le général Puga, expliquant l’avoir « invité chez [lui] » en Corse pour des vacances. « Bansard ne doit rien au grand chancelier puisqu’il a été décoré bien avant la nomination de ce dernier », prend soin de préciser le journaliste Romain Gubert. Si l’affirmation vaut pour Jean-Pierre Bansard, elle ne s’applique pas à ses proches.

D’après nos informations, le sénateur a fait construire, en 2013, un domaine de six villas de luxe sur les hauteurs de Calvi, à une dizaine de minutes de l’aéroport. C’est là que Benoît Puga s’est rendu. « Une fois », assure-t-il à Mediapart par téléphone. A-t-il bien été invité dans son domaine par le sénateur ? « Oui, bien sûr », confirme-t-il, en refusant d’en dire plus sur les conditions de cette invitation (durée, prise en charge du transport, etc.). « Calvi, ce ne sont pas les terres de Monsieur Bansard, je connais mieux Calvi que Monsieur Bansard », ajoute-t-il, avant d’indiquer qu’il ne souhaite pas aller plus loin dans l’entretien. Il est vrai qu’il y a notamment commandé le 2e régiment de parachutistes, de 1996 à 1998.

Les relations entre les deux hommes, aux tempéraments si différents – « l’un tout en rondeurs, l’autre sec comme un combattant », relève Romain Gubert dans son livre – ne s’arrêtent pas là. D’après nos informations, le groupe Cible a fait appel en 2018 à la société Puga immobilier construction, que venait de créer l’un des fils du général, pour participer aux travaux de rénovation de l’hôtel Le Marcel, situé en face de la gare de l’Est à Paris.

Selon un témoignage interne, l’idée de travailler avec cette toute jeune entreprise serait venue à Jean-Pierre Bansard lui-même. Augustin Puga, alors âgé de 27 ans, a participé à des réunions de chantier en compagnie de Nathalie Bansard, l’une des filles du sénateur, qui dirige la filiale hôtelière de Cible. Mais, selon le témoin précédemment cité, le rôle de Puga immobilier construction aurait été limité, la démarche ayant surtout pour objectif de « mettre le pied à l’étrier » au jeune entrepreneur pour « faire plaisir à son père ». Confrontés à ces déclarations, Jean-Pierre Bansard et Augustin Puga n’ont pas souhaité les commenter.

Un an avant de faire appel à Puga immobilier construction, Cible avait déjà procédé à un recrutement dans le même écosystème. La fille d’Yves Minjollet, administrateur du palais de la Légion d’honneur, a été recrutée à la sortie de ses études par le groupe de Jean-Pierre Bansard, à compter de mars 2017, sur un poste d’assistante de direction, qu’elle a occupé pendant plus de deux ans jusqu’en octobre 2019.

Sollicitée par Mediapart, la jeune femme n’a pas retourné notre demande d’entretien. Aujourd’hui à la retraite, son père nous a affirmé que ce recrutement, combiné à la prestation accordée au fils du général Puga, était un pur « hasard ». « Bansard, je ne le connais pas plus que ça. Il est venu après avoir été élevé à la dignité de grand officier [en 2016] et a demandé à être reçu par le grand chancelier. On m’a demandé de lui montrer les salons, et voilà comment les choses se sont faites », nous a-t-il indiqué, assurant ne pas avoir présenté sa fille à l’homme d’affaires.

En mars 2017, au moment où ce recrutement se fait, le fondateur du groupe Cible organise pour ses activités politiques une soirée à l’hôtel de Salm, le somptueux palais qui abrite le siège de la Légion d’honneur depuis 1804 sur les bords de Seine. Dans le but de réaliser son rêve de devenir sénateur, Jean-Pierre Bansard a créé en 2009 son propre microparti, l’ASFE (Alliance solidaire des Français de l’étranger), lui permettant de concourir aux élections dans la circonscription unique des Français et Françaises de l’étranger, aussi grande par sa taille (le monde entier) que petite par son collège électoral (532 électeurs et électrices), faisant de cette anomalie démocratique un paradis du clientélisme. L’annulation de la première élection de Jean-Pierre Bansard a donné lieu à un signalement du Conseil constitutionnel ayant débouché, selon nos informations, sur l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris. Les investigations, confiées à la Brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP), sont toujours en cours, indique une source judiciaire.

La fastueuse réception de mars 2017 s’est tenue en présence de nombreux conseillers et conseillères consulaires, qui étaient justement appelé·es à se rendre aux urnes six mois plus tard pour les sénatoriales, auxquelles Jean-Pierre Bansard était candidat. Pour son « dîner de gala », l’homme d’affaires a mis les petits plats dans les grands, offrant même à ses invité·es un concert privé de deux violoncellistes de renom, les sœurs Camille et Julie Berthollet. Malgré le caractère politique de l’événement, il a fait régler une partie de la note par le groupe Cible, et non par le parti ASFE, comme l’a révélé Mediapart en 2021.

Jean-Pierre Bansard avait déjà privatisé une première fois l’hôtel de Salm, le 6 octobre 2016. Cette fois, il s’agissait de célébrer « son élévation à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur » mais aussi de profiter de la « venue à Paris » des conseillers consulaires à l’occasion de la « 25e session de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) », comme l’indiquait le carton d’invitation. Le document, siglé du logo de l’ASFE, annonçait la « présence de Son Excellence le général d’armée Benoît Puga », ainsi que « la participation des solistes internationaux du Conservatoire de Vienne ».

À chaque fois, la réservation de l’hôtel de Salm s’est faite par le biais du gardien des lieux, l’administrateur Yves Minjollet. « Aucune prestation ne se fait sans que cela soit encadré par une convention », rappelle-t-il. Questionnée sur cette situation, la grande chancellerie se contente d’indiquer que les privatisations, dont les recettes « contribuent directement à l’entretien des bâtiments », se sont faites « pour des montants conformes aux tarifs fixés par le conseil de l’ordre ».

Une nouvelle « soirée de gala » est organisée le 6 octobre 2022, en l’honneur de Jean-Pierre Bansard et de sa numéro 2, Évelyne Renaud-Garabédian. Associée historique au sein du groupe Cible, cette dernière a aussi décroché un siège au Sénat grâce aux résultats spectaculaires de l’ASFE ces dernières années. Au Palais du Luxembourg, les deux élus siègent dans le groupe Les Républicains (LR) et l’ASFE présente à nouveau une liste aux élections sénatoriales du 24 septembre prochain, sur lesquelles figurent Évelyne Renaud-Garabédian et… Sarah Cacoub.

Cette fois, la sauterie d’octobre 2022 ne se tient plus dans les salons de l’hôtel de Salm mais dans la salle de réception de l’hôtel Intercontinental, un cinq étoiles que possède le groupe Cible à deux pas de l’Arc de Triomphe. Elle rassemble des conseillers et conseillères consulaires, bien sûr, et un parterre pour le moins hétéroclite de personnalités : le champion de taekwondo Pascal Gentil, l’avocate et ex-ministre Corinne Lepage, l’éditorialiste du Figaro Yves Thréard (qui a aussi participé à des vidéos de l’ASFE dans le passé), comme l’a raconté la Lettre A.

Entre un concert d’Enrico Macias, venu avec quatre musiciens, et un sketch d’Élie Semoun, surprise : voilà Benoît Puga, en uniforme militaire, avec son écharpe rouge de grand-croix de la Légion d’honneur, qui se lève de sa tablée pour prendre la parole devant l’assistance. « J’ai été très étonné de voir le général présent en tenue à cette soirée. Le contraste avec Élie Semoun était plutôt saisissant », commente un invité, resté incrédule devant cette scène.

Interrogé sur la compatibilité entre ses fonctions et sa participation à cet événement, Benoît Puga relativise le poids politique de l’ASFE, avec une explication peu compréhensible : « C’est un parti politique qui n’a d’existence que pour la partie du Sénat et la représentation des sénateurs. »

Une assistante de Jean-Pierre Bansard m’a appelé pour me dire que c’était une candidature superbe, j’ai transmis mon CV.

Un conseiller consulaire

Pour le microparti de Jean-Pierre Bansard, le bénéfice de cette proximité avec le grand chancelier ne s’arrête de toute évidence pas là. En plus des décorations octroyées aux membres de sa famille, un ancien proche de l’homme d’affaires témoigne du fait que le sénateur aurait profité de sa position privilégiée pour proposer « des décorations à des élus consulaires », grands électeurs des sénateurs et sénatrices donc, « y compris devant [lui] ».

Un conseiller consulaire, basé aux États-Unis, affirme ainsi s’être vu proposer d’intégrer l’ordre de la Légion d’honneur au cours d’un dîner avec le sénateur. « Ensuite, une de ses assistantes m’a appelé, une heure au téléphone, pour me dire que c’était une candidature superbe, j’ai transmis mon CV », indique-t-il. Mais le processus se serait finalement brusquement interrompu, au cours d’un second rendez-vous avec Jean-Pierre Bansard. « Il m’a dit : “Est-ce que tu rejoins notre groupe [l’ASFE] ?” J’ai dit non. Il m’a répondu : “On n’a pas besoin de toi mais apparemment tu avais besoin de moi”, et m’a alors fait comprendre que je ne serais pas décoré », retrace-t-il, en expliquant que « [son] dossier n’a d’ailleurs pas été traité ensuite ».

Comme l’écrit le professeur de sociologie historique Olivier Ihl dans Le Mérite et la République. Essai sur la société des émules (éditions Gallimard, 2007), ces remises publiques de décorations forment autant d’occasions, pour les élu·es, « d’alimenter l’expansion d’un réseau de pouvoir en [les] transformant en véritable fontaine d’honneur ». Dit autrement, la thèse de son enquête défend l’idée que le véritable bénéficiaire d’une décoration n’est pas tant celui qui la reçoit que celui qui permet de la recevoir.

Antton Rouget