Airbnb : un simulacre de « plan » de régulation
Attendues depuis près d’un an, les mesures pour encadrer les locations touristiques de courte durée frappent par leur vacuité. Malgré la fronde des élus et des collectifs d’habitants qui ne peuvent plus se loger dans certaines zones, le gouvernement continue de procrastiner.
Lucie Delaporte
19 juillet 2023 à 18h33
Habiller l’inaction politique est un art qui a ses règles. En découvrant la liste des « 14 mesures » pour lutter contre le manque de logements dans les zones touristiques, présentée mardi 18 juillet par le gouvernement, on ne peut que s’incliner devant le savoir-faire de l’exécutif en la matière.
Le diagnostic des effets délétères de la location de courte durée type Airbnb sur certains territoires – avec le retrait massif de logements à la location classique, l’augmentation des loyers et de la spéculation immobilière – est fait depuis longtemps. Les rapports sur le sujet se sont accumulés ces dernières années avec notamment celui – très complet – des inspections générales, paru en mai 2022, et qui contenait déjà de nombreuses propositions.
Depuis des mois, les maires de villes touristiques, toutes tendances confondues, interpellent avec force sur le sujet, en expliquant qu’ils ne parviennent plus à loger leurs habitants. Dans une récente tribune, ces édiles demandaient notamment de revoir la fiscalité de ces locations, mais aussi de réduire le seuil de 120 nuitées par an jugé trop important.
Aujourd’hui, la niche fiscale pour ces locations de courte durée est telle – l’abattement peut atteindre 71 % – qu’il est infiniment plus avantageux de louer sur des plateformes pour des périodes courtes. Les investisseurs ne s’y sont pas trompés en rachetant par immeubles entiers des logements destinés à ce type de location. Alors que les pires passoires thermiques, classées F et G, sont progressivement interdites à la location, les meublés touristiques de courte durée sont, eux, exemptés de tous travaux. Une incroyable aubaine.
Devant la bronca montante de collectifs d’habitants et d’élus, notamment en Bretagne et au Pays basque, le gouvernement avait décidé de créer en septembre dernier un « groupe de travail dédié » dont on attendait donc les conclusions. Au moment où la crise du logement s’aggrave en France, il était plus que temps de prendre des décisions. Surtout après le retrait in extremis de la proposition de loi transpartisane visant à mieux encadrer ce type de location, épisode qui avait déjà montré le grand embarras de l’exécutif sur le sujet.
Un embarras persistant du gouvernement
Les « 14 mesures » présentées mardi ne font que confirmer que le pouvoir ne veut surtout pas s’attaquer au business florissant des plateformes. Emmanuel Macron a d’ailleurs toujours eu de nombreux égards pour la plateforme américaine Airbnb, qui réalise en France son plus gros chiffre d’affaires après les États-Unis.
Comment mettre en scène qu’on prend le problème à bras-le-corps, sans rien changer ? Quand on ne veut pas faire grand-chose, tout en donnant des gages apparents de volontarisme, rien de tel que de créer un énième « observatoire ». La « création d’un observatoire du logement dans les territoires touristiques » est donc la première mesure annoncée. Il permettra (2e mesure !) d’« améliorer la connaissance des dynamiques des territoires touristiques en Europe et des réglementations existantes ».
Distribuer quelques flyers et brochures est aussi un bon moyen de montrer qu’on agit. Le « guide de la réglementation des meublés de tourisme » sera ainsi largement diffusé pour rappeler le cadre actuel. On peut également – après tout, pourquoi pas – « identifier 10 territoires pilotes », ce qui permettra « de définir une stratégie territoriale “sur mesure” et de mobiliser les outils disponibles ou à structurer ».
À voir ce plan de « lutte contre l’attrition des logements permanents en zones touristiques », il est clair que le gouvernement a toujours besoin de donner du temps au temps. La 6e mesure est sans ambiguïté puisqu’elle pose le principe que le gouvernement va « engager des réflexions sur la fiscalité des revenus locatifs afin de favoriser les locations de longue durée ». Sacrée décision après un an de travail.
Les cabinets d’Olivier Klein, ministre délégué au logement, et d’Olivia Grégoire, ministre déléguée au tourisme, ont expliqué que la discussion fiscale serait renvoyée au prochain projet de loi de finances, à l’automne 2023. En octobre 2022, le gouvernement avait déjà retoqué les amendements visant à supprimer la niche fiscale qui dope ces locations pour se donner « le temps de la réflexion »… Encore un an de gagné, donc, pour Airbnb et consorts.
Sur l’exemption de travaux pour les passoires thermiques, le gouvernement renvoie la patate chaude vers les maires (12e mesure), qui seront « libres d’appliquer la réglementation ou non (sic) ».
Seule vraie annonce : le nombre de communes habilitées à surtaxer les résidences secondaires, parce qu’elles sont situées sur des zones touristiques très tendues, va passer de 1 100 à 3 700. Mais, là encore, c’est la municipalité qui décidera si elle veut aller jusqu’à majorer de 60 % la taxe d’habitation sur ces logements.
Airbnb, qui, comme l’avait révélé Mediapart, a débauché en janvier un ancien membre du cabinet d’Élisabeth Borne pour faire son lobbying devant la perspective d’un raidissement de la règlementation, peut en tout cas souffler. Rien ou presque dans ce plan ne va entraver le business du géant américain qui ne paie pratiquement aucun impôt en France.